
Il fut un temps, pas si lointain, où l’on partait en voyage avec un petit carnet d’adresse papier, après avoir éventuellement donné à ses proches les dates, horaires et numéros de nos vols ou trains. Sur place, on achetait des cartes postales qu’on envoyait sans être toujours sûr.e.s qu’elles arriveraient avant notre retour.
Un peu plus tard vinrent de petits téléphones itinérants aux possibilités d’abord limitées, des ordinateurs portables et des tablettes dont le poids n’était pas rédhibitoire au fond du sac. A défaut de posséder ce matériel, on trouvait parfois, en accès libre dans les hôtels ou dans des cybers cafés ou stations (sic), des bécanes pour contacter nos proches et amis.
Les téléphones se perfectionnant, on a fini par tout y mettre (carnet d’adresse, photos, applis diverses), compter sur lui pour se repérer dans l’espace, nous tenir au courant du grave ou du futile en temps réel etc…
La maladie d’une cousine que j’avais sous tutelle et la nécessité de pouvoir être jointe facilement me poussèrent à un premier achat. C’était un objet encore assez fruste qui ne me servit à rien d’autre qu’à téléphoner. Avec le suivant, je commençais à envoyer des messages puis vint la reddition finale au smartphone. Le dernier en date me permettant de prendre des clichés tout à fait corrects, j’en vins à délaisser mon appareil photo en cas de voyage en groupe, la vitesse des déplacements et la discipline horaire m’empêchant souvent de prendre mon temps photographique (régler ma prise de vue, changer d’objectif en particulier car je ne me trimballais pas avec plusieurs appareils réglés différemment ).
Le plus souvent mon téléphone restait au fond de mon sac à main. Je ne le sortais que pour appeler ou envoyer des messages à tel ou telle, prendre éventuellement des nouvelles du monde ou … des photos. Pour faire court, je ne me sentais pas enchaînée à cet objet qu’il m’arrivait souvent d’oublier chez moi.
Ce matin là, j’attendais tranquillement un taxi réservé la veille via une application installée sur mon téléphone. Un message m’avertit que le chauffeur était arrivé à destination et m’attendait …sauf qu’ayant sans doute lu trop rapidement ma commande il avait confondu avenue du Maine et rue du Maine et ne m’attendait pas au bon endroit. Je l’appelais (toujours via l’application). Il se confondit en excuses et promit d’arriver dans les 5 minutes. Sur mon écran, j’eu tout loisir d’observer les mouvements erratiques du véhicule car il arriva un bon quart d’heure plus tard. La marge que j’avais prise pour me rendre au rendez-vous avec mon groupe de voyage, gare du Nord, avait passablement fondu et les bouchons sur le trajet n’aidèrent pas au point que je désespérais d’arriver à temps. Finalement, ce fut tout juste et, soucieuse d’être à l’heure, je suis sortie comme une balle de la voiture.
Prendre l’Eurostar, c’est presque prendre l’avion (la seule grosse différence est que l’on peut passer les contrôles avec une bouteille d’eau et que l’on est pas obligé de sortir tout notre attirail électronique ce qui, dans le cas présent, aurait peut être eu son importance, quoique). Il vaut donc mieux arriver avec une bonne heure d’avance pour être sûr d’avoir son train sans flipper.
Les contrôles enfin passés, je me préparais à passer le temps en lisant les journaux sur mon téléphone. Je tâtais la poche de pantalon où je l’avais glissé en montant dans le taxi et là, gag, il n’y était plus. N’ayant côtoyé de près, en gare, personne d’autre que les membres de mon groupe et la police des frontières, j’en ai déduit que mon téléphone avait dû glisser de ma poche pendant mon trajet en taxi. Pour réparer sa bévue et me permettre d’honorer mon rendez-vous, le chauffeur n’avait pas lésiné sur le champignon et les coups de freins brusques.
A ce stade, je ne pouvais plus faire grand chose. Mon taxi était reparti, si j’avais les coordonnées de son employeur, je n’avais pas les siennes et il était trop tôt pour contacter le service client. Une membre du groupe me prêta son portable pour que je puisse bloquer ma ligne en attendant qu’on retrouve mon engin …ou pas. Je me consolais en me disant que je n’étais pas totalement démunie puisque j’avais également emporté ma tablette.
Il faisait beau à Londres, la circulation était dantesque (nous roulions dans un car affrété pour nous), le concert à l’église Saint Martin in the Fields très plaisant : j’oubliais dès lors mon souci pour profiter du moment.
Arrive le soir et je m’apprête à donner des nouvelles par courriel. Je tape mon email, mon mot de passe sur ma tablette et là, deuxième gag, Monsieur Google m’avise que pour attester que je suis bien moi, il me faut taper un code de vérification que l’on vient de m’envoyer ….sur mon téléphone portable ! Je réalise du même coup que tout mon carnet d’adresse se trouve hors de portée et que, pour contacter les unes et les uns, il va me falloir de la mémoire. Par curiosité, j’essaie de voir ce qu’il en est de mes billets de train. Même chose : madame Sncf connect veut s’assurer que je suis bien moi et m’envoie gentiment un code sur mon portable. Rétrospectivement je me félicite d’avoir aussi imprimé mes billets.
Puisqu’il y en a un, je me rabats, à l’hôtel, sur le bon vieux téléphone mis à disposition dans ma chambre pour joindre ma mère. Échec. Une voix suave me répond : « this number is not in service, please try again ». Je descends à la réception, le préposé ne réussit pas plus que moi. Les téléphones britanniques ne semblent pas reconnaître les numéros commençant par +33 5 56…. ( Joueuse, pour une fois, j’ai même poussé le vice jusqu’ à leur demander de faire mon propre numéro de téléphone fixe. Nouvel échec sur toute la ligne). De guerre lasse, je me suis créé une adresse email qui m’a permis de communiquer avec ceux dont je me souvenais des coordonnées.
Finalement, tout s’est temporairement réglé une fois rentrée sur Paris par le prêt d’un smartphone de secours pour un mois par Madame Orange. Le service client de la compagnie de taxi ne réussira pas à contacter mon chauffeur. Qui sait d’ailleurs si mon précieux engin n’a pas été tout simplement récupéré par un client suivant qui se sera bien gardé de le lui signaler.
L’histoire est banalissime mais illustre cette autre banalité : la technique vous asservit autant, sinon plus, qu’elle vous sert. En d’autres temps, ma mère aurait attendu une carte postale sans s’inquiéter (pas de nouvelles, bonnes nouvelles). Maintenant ce temps « réel » qui ne supporte pas, ou à peine, l’attente, finit par devenir anxiogène.
Vous me direz perdre ses papiers ou titres de transport autrefois était une tuile mais sans doute, de fait, faisions nous plus attention. La facilité électronique nous rend oublieux.
Les cabines téléphoniques britanniques si reconnaissables ont été conservées comme des sortes de reliques décoratives car il n’y a plus de téléphone dedans.
Nous nous baladons à longueur de temps avec un petit mouchard utile. Indispensable ? Peut-être pas encore tout à fait mais gageons qu’il le sera à court terme.
L’homme libre sera seul et impuissant. car les alternatives se réduisent. Et la technique fait le reste.
Quand j’étais petite, notre facteur, M. Colas, passait deux fois par jour pour distribuer le courrier. On discutait un peu, C’était convivial. Envoyer une lettre « normale », de nos jours, est devenu une usine à gaz avec la disparition du timbre rouge. Le temps que l’entreprise ne veut pas « perdre », c’est vous qui le perdez à vos frais.
Ainsi va notre riant monde.